jeudi 30 juin 2011

Electre

de Wajdi Mouawad


Depuis le temps qu'on m'en parlait, j'ai eu enfin l'occasion de voir sur scène une création du Grand Metteur en Scène Wajdi Mouawad, auteur de la tétralogie Le Sang des promesses (Littoral/Incendies/Forêts/Ciels) dont ma copine Anne, inconditionnelle, me rabat les oreilles depuis deux ans. Autant te dire que quand je me suis pointée au Rocher de Palmer le vendredi soir, j'avais de très grosses attentes.

Depuis le début de l'année, Mouawad s'est lancé dans une périlleuse entreprise : monter sept pièces de Sophocle en les divisant en trois volets : DES FEMMES (Les Trachidiennes, Antigone, Electre), DES HÉROS (Ajax, Oedipe Roi) et enfin DES MOURANTS (Oedipe à Colone et Philoctète). J'ai donc vu Electre le jeudi, ne pouvant pas assister au six heures de représentation le vendredi et le samedi.

Electre c'est donc l'histoire d'une femme qui a vu son père, Agamemnon, périr de la main de sa mère Clytemnestre, accompagnée de son amant Egisthe. Séparée de son frère Oreste, seul capable de venger cette mort (triste destin des Atrides), elle erre dans le château avec les meurtriers de son père comme maîtres.

Moi j'avais lu et joué comme toute ma génération de Terminale Théâtre l'Orestie d'Eschyle, où Agamemnon victorieux ramène Cassandre de Troie chez lui à Argos, où ne l'attend plus sa femme Clytemnestre, séduite (ironie du sort) par le meurtrier d'Atrée, père d'Agamemnon, qui pour boucler la boucle butera aussi son fils. Je connaissais donc un peu l'histoire.

J'avoue avoir un petit faible pour le personnage mythologique d'Electre, qui pousse l'amour paternel à la folie meurtrière, je comprend ça (mais j'aime ma maman). J'avoue avoir aussi un petit faible pour l'Electre de Sophocle, qui figure dans l'ouvrage l'Insignifiance Tragique de Florence Dupont(Gallimard), théoricienne du théâtre que j'aime lire et écouter pour sa vision éthnopoétique des textes théâtraux antiques et romains. L'éthnopoétique, c'est remettre dans son contexte, et souvent dans son oralité, les textes qui nous restent ou que nous possédons d'époques ou de civilisations méconnues.

Bref, de toutes façons la traduction de toutes les pièces de Sophocle montées par Wajdi Mouwad est de Robert Davreu, ils ont d'ailleurs tous deux écrit un livre à ce sujet : Traduire Sophocle (ed. Actes Sud), que je n'ai pas lu, mais qui placerait l'oralité au centre de la pièce, ce qui n'est pas pour me déplaire. Bref, passons à la scène, je sens que je t'assomme avec mes conneries.

Ah non, juste un truc qui fait écho à l'oralité, voir la musicalité de la pièce : la B.O des FEMMES est composée par Bertrand Cantat. Mouawad a déclaré à ce sujet dans une interview "Mais il n'y a pas la moindre provocation de ma part. Ma motivation est avant tout artistique : je voulais un chœur de style rock et j'aime sa voix". Mouais... j'y crois moyen. Bertrand Cantat a son public, et l'image qu'il véhicule depuis le meurtre de Marie Trintignan est assez sulfureuse, c'est évident que l'engager dans une troupe pour une pièce sur les femmes est provocateur. A voir maintenant ce que ça vaut musicalement...

Sur scène donc, il y a des chaises grossièrement enveloppées de rafia, une structure au centre assez haute et large recouverte de plastique de sacs poubelles, un bidon et de la terre. C'est tout. Trois hommes arrivent, poussant un portail sur roulettes qui se met à pleuvoir sur eux. Ils déclament leur texte. Je m'attendais pas du tout à ça. C'est très lent, très ancré dans la terre, j'ai l'impression qu'on est au début d'un film genre Robin des Bois, les hommes qui sortent du bois pour annoncer leur plan, on est vraiment dans la scène d'exposition par exemple, très simple, trop simple. Les acteurs ont l'air excellents, mais c'est quand même très immobile, si c'est comme ça tout le long, ça va être chiant.

Fin de la scène, Electre arrive. Bon, cette femme, qui s'appelle Sara Llorca (elle vient du jeune théâtre national), est très belle. Déjà, elle ne porte qu'une culotte, une robe coupée de haut en bas et un manteau trois fois trop grand. On voit donc sa petite poitrine, son corps fin et élancé, un corps de femme et d'enfant très perturbant, très beau, je tombe immédiatement sous le charme. Elle est époustouflante.

Je ne parlerai pas du reste de la pièce chronologiquement, scène par scène ce serait spoiler, et je ne suis pas une odieuse connasse. Je tiens à signaler que j'ai adoré cette pièce, j'en étais toute retournée, ce Wajdi Mouawad est un Grand, effectivement. Son théâtre est avant tout un travail de troupe (il travaille toujours plus ou moins avec les mêmes personnes), et ça saute aux yeux quand on voit le résultat : les acteurs sont hyper investis, ils s'accompagnent, jouent les yeux dans les yeux, ils ne sont pas exécutants, ils sont acteurs et c'est con à dire, mais c'est rare. Le jeu est puissant, tenu de bout en bout, les acteurs suent à grosses gouttes, postillonnent, grimacent, c'est une tragédie sans concession et pourtant complètement maîtrisée. Ils se mettent à nu, et ce n'est pas une figure de style que j'emploie à la légère : un tel investissement humain sur scène, jouer aussi inconditionnellement, c'est fou. C'est fou de faire autant confiance à ses acteurs, et en même temps n'importe quel metteur en scène ne peut que rêver d'avoir des acteurs aussi bons, et il faut certainement risquer l'un pour avoir l'autre.

Et puis c'est beau, il y a vraiment des moments de grâce, par exemple le retour d'Oreste, on sait très bien qu'ils vont se retrouver et se reconnaître, et pourtant on est pris aux tripes comme des cons tellement c'est bien foutu, tellement c'est juste. Quand elle enlève cet immense manteau qui dévoile enfin son corps nu, et qu'elle disparaît toute entière dans l'immense bidon pour se laver de toute la terre et l'argile qu'elle a étalé sur son corps tout au long de la pièce... Mon coeur a explosé tant c'était simple, tant c'était immense.

La musique de Cantat n'est pas très présente dans l'épisode que j'ai vu, contrairement à dans les Trachidiennes ou Antigone, où il est souvent sous les projecteurs d'après ce que j'ai vu dans les vidéos. Là, il est assez effacé, il parle dans un mégaphone comme un annonciateur. Il est sensé être le Choeur d'Argos à lui tout seul, j'avais déjà vu ça dans le Médée de Laurent Fréchuret l'an dernier, et je suis toujours pas convaincue par le procédé. Un choeur c'est un choeur bordel de merde, à la limite les acteurs portent eux même si bien la pièce qu'ils en sont à la fois les personnages et le Choeur pour moi. L'intervention de Cantat dans Electre me paraît donc assez anecdoctique, peut-être cela fonctionne-t-il mieux dans les deux autres pièces ?

C'est difficile à décrire, je m'en rend compte à présent, il faut vraiment le vivre pour comprendre. Le pire, c'est que Anne l'a vu, et m'a dit qu'elle avait préféré la tétralogie Le Sang des promesses...

Et si ça intéresse des gens, une lettre que Wajdi Mouwad a écrit à sa fille pour justifier la présence de Bertrand Cantat dans DES FEMMES :

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